Aux membres de l’Asulf,
Les journalistes ont souvent des tics de langage. À force d’écrire, on en vient à développer des formulations et si on ne fait pas d’effort pour y mettre un peu de variété, ça devient des tics qui finissent par être agaçants. Surtout si l’un d’entre eux se répand chez les collègues.
Il y a quelques années on a vu l’habitude de mettre »ce » devant les jours de la semaine s’implanter à un tel point que ça devient irritant.
En soit, la formule existe pour insister sur le jour et va être utilisée de cette façon: »Voici ce qui s’est passé EN CE mardi 11 septembre 2001 », ce qui ne réfère pas nécessairement au jour même, mais aussi à un événement historique.
Or, voilà qu’on l’utilise maintenant à toutes les sauces, notamment dans les médias parlés où, un mardi, on va nous annoncer un événement »pour ce jeudi » au lieu de tout simplement dire »jeudi ». Dans ce cas, il s’agit d’un anglicisme, car en français on a qu’à donner le jour de la semaine et on sait automatiquement que si on dit jeudi, c’est celui qui vient. Tournure lourde et inutile.
Plus récemment, un nouveau tic est apparu avec la transformation du nom commun »citoyen » en adjectif. Le citoyen n’agit plus, il n’est plus l’auteur de l’action. Il ne manifeste plus, ne signe plus de pétitions, ne prend plus la parole. Maintenant, on a des manifestations citoyennes, des pétitions citoyennes et des prises de parole citoyennes. Oui, c’est maintenant toléré. Faut-il en faire LA recette et l’utiliser à toutes les sauces? Ça devient indigeste!
On fait même des contorsions pour ça, rendant même des phrases incompréhensibles comme ce que j’ai entendu récemment dans un bulletin de nouvelles à la radio. Une contorsion digne du Cirque du Soleil.
Dans une nouvelle portant sur le quartier Notre-Dame-du Saguenay à Chicoutimi, on expliquait, comme suit, pourquoi le conseil municipal voulait étudier la possibilité de le classer comme quartier historique : ‘’cela découle d’une mobilisation citoyenne inquiète….’’
Voilà. Les mobilisations citoyennes deviennent de vraies personnes morales ou physiques et peuvent s’inquiéter. On écrit sans se poser de question sur : quel est le sujet dans ma phrase? Mobilisation citoyenne? Une mobilisation citoyenne est inquiète? Ça n’a pas de bon sens!
Pourtant, c’eut été tellement plus facile et beaucoup plus beau d’écrire : »cela découle de la mobilisation des citoyens inquiets ».
Et on en a vu d’autres, comme dire qu’une compagnie »a mené des consultations citoyennes » au lieu d’écrire que »la compagnie a consulté les citoyens ». Pourquoi? Trop français? Trop facile à lire? Pas assez compliqué? On n’est plus capables d’écrire correctement même si c’est plus logique et plus facile. On tortille la langue, et c’est loin de l’améliorer.
Normand Boivin
Saguenay