La presse et les médias québécois ont souligné au cours du mois le centenaire de naissance de René Lévesque. On a présenté ses nombreuses réalisations à titre de chef du gouvernement et même de ministre dans les années 1960. Mais on ne s’est pas arrêté à son attitude à l’égard du problème de la langue, de son statut et de sa qualité.
L’ex-premier ministre est resté en retrait lors de l’étude du projet de loi 101 (1977) devenu la Charte de la langue française. On pourrait en dire, comme on l’a fait pour Jean Lesage, lequel n’aurait pas présidé la Révolution tranquille, mais l’aurait laissé faire. René Lévesque a laissé la bride sur le cou de Camille Laurin.
René Lévesque a quand même fait part de certaines positions ou attitudes qu’il est bon de rappeler. Il tenait compte du contexte géographique, d’un pays entouré d’une population anglophone. Aussi tenait-il pour acquis que les Québécois devaient vivre en harmonie avec leurs voisins, se familiariser avec leur langue sans pour autant négliger de regarder au-delà, vers les autres pays de la Planète.
Il croyait également que l’État et la société québécoise devaient devenir aussi français que l’Ontario était anglaise. Son esprit démocratique et pragmatique lui faisait désirer une évolution tranquille, normale, sans à-coups, sans ruptures.
La prudence de René Lévesque reposait sur un paradoxe. Il soutenait que le sort du français en sol québécois était lié à la construction d’un État évoluant vers l’autonomie la plus prononcée qui soit. D’où le nom du mouvement de départ : Mouvement Souveraineté-Association. Observateur de la scène internationale, il constatait sans doute que les langues protégées par un gouvernement souverain ou, peut-être aussi, semi-souverain ne disparaissaient pas ou, tout au moins, résistaient davantage au rouleau compresseur des langues impériales.
Quelle aurait été l’attitude de l’homme politique à la suite de la publication des données statistiques désastreuses de Statistique Canada publiées en août ? On peut penser qu’il aurait repris son affirmation : « Ce n’est pas la loi 101 qui règlera le problème de la langue au Québec […] Le Québec ne deviendra un État français que lorsqu’il sera un État souverain » ? (Louis Bernard, Entretiens…). Ou cette autre : « Langue de travail…, langue d’usage… langue prioritaire… Lamentable litanie de l’impuissance. On cessera de jargonner sur la langue le jour où, étant chez elle, elle n’aura qu’à s’imposer tranquillement, sans avoir à brimer personne, comme l’instrument officiel d’un peuple normal » (Chroniques politiques; vol. 2 : 1970-1971). Sur un tableau de l’Espace René-Lévesque (New Carlisle), on juge la « loi 101 » comme « une béquille humiliante ». Le raccourci n’est sans doute pas de l’ex-premier ministre lui-même, mais on l’a imprimé. On y note aussi qu’il aurait préféré ne pas la voir adoptée.
La question est à première vue éloignée des questions de qualité de la langue, leitmotiv et préoccupation quotidienne de l’ASULF depuis plus de trois décennies, des remarqueurs des XIXe et XXe siècles, de la Société du bon parler français à compter de 1902. Or, la modernisation, l’enrichissement, la qualité si l’on veut, s’insèrent au sein d’une langue établie sur un territoire et dans une société organique. Comme le disait le Premier ministre : « Le jour où nous serons chez nous politiquement, le français va être chez lui » (Si je vous ai bien compris, p. 204).
Voilà le rêve ou la voie que René Lévesque appelait de ses vœux au moment où des collègues jouaient, quand même avec raison, les pompiers ou les urgentistes.
Gaston Bernier