Au niveau international, il n’est pas toujours facile de concilier le respect des noms choisis par un État étranger pour nommer son territoire et les exigences langagières des utilisateurs étrangers. Chaque partie a ses intérêts et tient à ses positions. Ce défi est paradoxal puisqu’il impose un choix entre deux objectifs contradictoires de la gestion toponymique. En demandant que, dans toutes les langues, le nom du Salvador soit El Salvador et non Salvador tout court, le gouvernement salvadorien se trouve à réclamer de certains utilisateurs le non-respect des règles de leur propre langue. L’expression « capitale de l’El Salvador » constituerait une redondance injustifiée.
Ce paradoxe s’est présenté dans un contexte différent lorsque le gouvernement biélorusse, une fois la Biélorussie devenue indépendance, a demandé à la société internationale de n’utiliser désormais que l’endonyme Belarus. Les gouvernements de plusieurs pays se sont conformés à cette demande comme s’il s’agissait d’un changement de nom, ce qui n’était pourtant pas le cas. Le nom Belarus est le nom de ce pays dans sa langue. La situation n’a donc pas changé et, comme il est accepté au niveau international que les noms de pays prennent une forme s’harmonisant avec les habitudes langagières des langues d’arrivée, la forme Biélorussie conserve sa légitimité.
Il en est de même pour la Moldavie qu’une méconnaissance de la situation a fait que le nom de Moldova, qui est le nom de la Moldavie en langue moldave (roumaine), s’est répandu notamment dans les textes français et anglais comme s’il y avait eu un changement de nom lors de l’accession du pays à l’indépendance. Plusieurs pays ont résisté à ce courant injustifié, les attitudes à cet égard se répartissant de façon à peu près égale.
La règle à l’effet que les noms de pays se disent et s’écrivent selon les règles de la langue d’arrivée est dictée par la pratique et la logique. On imagine que jamais les gouvernements de la Géorgie et de l’Arménie n’exigeront qu’on se réfère à leurs pays en utilisant leurs désignations nationales, à savoir Sakartvelo et Hayastan et on ne voit pas pourquoi la règle serait différente pour la Biélorussie et la Moldavie.
Bien sûr, il est difficile à un organisme d’imposer un usage dans des territoires hors de sa juridiction. Cela n’a cependant pas empêché la Turquie de retourner le courrier adressé à Constantinople avec la mention « Adresse inconnue » après que le président Ataturk ait changé le nom de cette ville pour Istanbul en 1930.
Le traitement des noms de villes est dans les faits un peu différent en ce sens que l’usage est plus capricieux ; il varie selon les pays usagers de même que dans le temps. On a longtemps appelé Tiflis la capitale de la Géorgie alors que, depuis 1936, on a remplacé cette forme russe par son nom géorgien originel, Tbilisi. C’est aujourd’hui la forme utilisée internationalement, à quelques rares exceptions près : l’allemand, l’espagnol et le turc emploient encore la forme Tiflis. Le français et le portugais doublent le « s » et le hongrois ajoute un « z » au nom tel que translittéré, en vertu de leurs systèmes phonologiques respectifs.
La capitale de la Chine a été connue sous diverses formes de son nom original chinois, Beijing en écriture pinyin : « Peking » en anglais, allemand et quelques autres langues, « Pechino » en italien, « Pequim » en portugais, Pékin en français qui résiste dans l’usage francophone alors que des pays de plus en plus nombreux emploient la forme locale Beijing.
Le Groupe d’experts des Nations Unies pour les noms géographiques (GENUNG), formé en 1960 comme organisme conseil pour la normalisation nationale et internationale des noms géographiques avait, au début de ses travaux, préconisé l’usage préférentiel des formes locales des toponymes, mais a progressivement réalisé la difficulté d’en arriver à infléchir l’usage international en ce sens.
Quelles que soient les tendances récentes en ce domaine, il faut noter que ces principes ne sont facilement applicables que dans le cas où l’on passe d’une langue à une autre sans changer d’alphabet ; évidemment, la multiplicité des alphabets en usage complique le traitement inter-linguistique des toponymes.